Nora Simon : “Je partage ma vision du monde en me réappropriant l’Histoire de l’art”
Rencontre avec Nora Simon qui interroge, au travers de ses œuvres, l’Histoire de l’art et l’accès à la culture dans un souci de faire surgir du “beau” dans l’espace public. Elle y colle ses “Histoires doubles” : doubles de par la rencontre entre deux œuvres d’artistes différents, et histoires doubles pour le jeu entre “Histoire de l’art” et les histoires, au sens de la narration que ses collages racontent.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Artiste plasticienne, je vis et travaille aujourd’hui à Paris. J’ai toujours travaillé avec des techniques d’images imprimées (photographie, gravure, collage…). J’aime leur finesse et les subtilités de leur impression et démultiplication. Depuis près de deux ans, je me suis engagée dans un nouveau projet de collages urbains.
Comment est né ce projet, “Histoires doubles” ?
Ces collages sont nés de la rencontre fortuite entre une paire de ciseaux et un magazine de Beaux-Arts longtemps délaissé. J’ai commencé à mélanger instinctivement des reproductions d’œuvres, par jeu et par plaisir, et de ces associations sont nées les “rencontres”. Au travers de ma pratique, j’interroge l’histoire de l’art, l’accès à la culture, dans un souci de faire surgir du “beau” dans l’espace public.
Comment est venue cette envie de t’exprimer artistiquement ?
J’ai toujours été passionnée par l’art et je suis quelqu’un de très créatif, mais le premier confinement et ce temps soudainement libéré m’ont permis de développer ce projet qui germait depuis quelques mois déjà dans ma tête.
Comment définirais-tu ton univers ?
Je dirais que c’est un univers séduisant visuellement : poétique, coloré, avec une épure assez minimaliste. Il est bon de l’observer avec minutie, car derrière le beau et le lisse se cachent souvent des histoires plus complexes qu’il n’y paraît. Un univers ambigu aussi : mes créations sont toujours uniques car elles sont découpées et assemblées à la main sans montage numérique, ce qui leur donne un caractère authentique. Elles falsifient même d’autres créations originales et frôlent la contrefaçon.
Peux-tu nous en dire plus sur tes collages ?
Je ne travaille qu’à partir d’œuvres que j’apprécie d’un point de vue esthétique ou historique, pour leur beauté et/ou pour le sens qu’elles portent. Il y a des artistes que j’adore pour leur force poétique comme Félix Vallotton, Pierre Bonnard ou encore Edward Hopper, qui sont récurrents dans mes collages. En m’appuyant sur le détournement, je souhaite créer des œuvres uniques qui ont leur propre portée artistique. J’ai un profond respect pour les créations que j’utilise et je cherche en toute humilité à produire des œuvres uniques qui ont leur propre vie au-delà de puissantes références. J’ai un corpus d’images qui m’inspirent et qui sont souvent en attente de leurs paires, leurs “doubles”. J’ai une idée du duo que je veux rassembler et de l’histoire qu’il doit raconter, mais la recherche peut parfois prendre un certain temps. Je considère que mon “histoire double” est réussie quand naît une image fictive mais cohérente (couleur, touche, échelle), qui parvient à se distinguer des œuvres originales en proposant un nouvel univers.
Pourquoi la rue ?
Proposer ces images dans la rue, c’est vouloir faire surgir du “beau” dans l’espace public. J’ai eu un parcours professionnel dans les musées et dans le monde de l’éducation, et lorsqu’on s’intéresse à la sociologie des publics de l’art, on se rend vite compte que les musées ne sont, aujourd’hui encore, pas fréquentés par tout le monde. Exposer mes “Histoires doubles” est une manière détournée de faire sortir les chefs-d’œuvre du musée, de les rendre plus accessibles. Ma pratique urbaine a ainsi un caractère très éphémère. J’aime dépendre du hasard qui fera qu’un collage restera plus de trois mois ou au contraire, sera arraché dans la journée. Parfois, une matinée est presque perdue parce que certains collages disparaissent immédiatement, c’est difficile à accepter mais cela fait partie du jeu.
Souhaites-tu faire passer un message à travers tes œuvres ?
J’aime croire que mes collages, au-delà de leur esthétique, peuvent raconter quelque chose d’autre au passant, lorsqu’il les croise. “Histoires doubles”, c’est un aller-retour entre la grande Histoire de l’art et les petites histoires qu’on se raconte dans nos têtes, ces nouveaux scénarios que l’on imagine quand on découvre mes images. Mon projet plaît souvent beaucoup aux amateurs d’art mais j’ai à cœur qu’il touche aussi ceux qui ne sont pas experts, juste parce que les histoires que je leur raconte leur “parlent”. Avec ces collages exposés dans la rue, je partage ma vision du monde en me réappropriant l’Histoire de l’art, de manière à raconter des histoires qui résonnent avec les problématiques contemporaines (violences faites aux femmes, enfance, écologie, enfermement…).
Peux-tu nous parler de tes projets en cours ou à venir ?
Mes collages mettent très souvent en scène des personnages féminins car l’Histoire de l’art et de la peinture foisonne de représentations féminines. Mais ces images de “femmes” proposées par les peintres – très majoritairement des hommes au cours des derniers siècles – rendent compte du seul regard masculin (le fameux “male gaze”), à de très rares exceptions près jusqu’au XIXe siècle. En me réappropriant d’une manière très subjective une Histoire de l’art longtemps dominée par les hommes, je détourne leur vision de la femme pour donner une autre vie à ces personnages féminins.
J’ai également débuté une nouvelle série “d’Histoires doubles”, que je colle actuellement dans Paris et qui fait référence aux peintres femmes et à leur place dans la société. Je tenais d’ailleurs à remercier vivement Julie Beauzac, pour son précieux podcast Vénus s’épilait-elle la chatte ? qui m’a enfin permis d’entendre un point de vue féministe sur l’Histoire de l’art occidental et qui m’a inspiré de nouvelles réflexions puis de nouvelles créations.
Plus d’informations sur le site web et le compte compte Instagram de Nora Simon.
Propos recueillis par Anastasia Le Goff
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